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Quelques techniques d’analyse physique d’œuvres d’art
Introduction :
L’art est le mode d’expression par excellence capable de traverser les siècles. Ce n’est pourtant pas sans mal qu’il y parvient : les conditions climatiques, les altérations accidentelles, les guerres sont autant de causes de destruction d’œuvres d’art. Et pourtant l’art est indispensable à la constitution de toute société humaine , c’est ce qui la nourrit et lui donne du sens. La nécessité de protéger les œuvres d’art qui témoignent du passé de nos civilisations s’est fait jour après les destructions occasionnées par la révolution française.
La
compréhension du comportement de la lumière et de ses interactions avec la
matière au cours du XXème siècle a apporté des outils irremplaçables
aux conservateurs qui peuvent ainsi mieux connaître l’histoire de ces œuvres
pour mieux les protéger.
Les interactions de la lumière avec la matière sont
désormais bien connues grâce aux développements de la physique. Il est possible
d’utiliser quelques unes de ces propriétés pour connaître la structure d’une
œuvre (sculpture ou peinture) : certains types de lumière peuvent pénétrer
en profondeur les matériaux et en interprétant le signal lumineux reçu après
son passage dans la structure de l’œuvre en question, il est possible de reconstituer
une image de l’intérieur de l’œuvre sans que celle-ci soit d’aucune façon
endommagée.
Une technique d’analyse physique est par définition non destructrice. Il n’y a aucun prélèvement de matière ni en surface ni en profondeur.
Les plus utilisés sont les techniques de
radiographie à base de rayons X, la gammagraphie, l’absorption infra-rouge, la
fluorescence ultraviolette.
1-
rappel sur le spectre d’une onde électromagnétique (« lumière »)
La lumière est une onde électromagnétique. Il existe une grande variété d’onde électromagnétique qui n’ont pas toutes les mêmes propriétés. Ces propriétés sont directement dépendantes de la caractéristique principale d’une onde elm à savoir la longueur d’onde (notée l) . La longueur d’onde l s’exprime en m… Les différentes ondes elm existantes sont décrites ci dessous :
Il est a noté que l’énergie des particules
constituant la lumière (les photons) s’exprime comme E = h.C / l où h est une constante et C la vitesse de la lumière. On voit
donc que plus l est petit, plus l’énergie
des photons correspondant est grande. Ainsi les rayons g seront plus énergétiques que les rayons X ,
eux mêmes plus énergétiques que les UV ou les IR.
La conséquence est que ces rayons n’auront pas le même
pouvoir de pénétration dans les matériaux : les IR peu énergétiques pénétreront
peu dans les œuvres éclairées alors que les rayons g gamma seront en mesure de traverser des épaisseurs
de pierre considérables…
2-
absorption d’une onde électromagnétique par la matière
La plupart de ces techniques reposent sur la plus ou
moins grande absorption de la lumière par la matière.
L’absorption de la lumière par la matière est due à des transitions des électrons de chaque atome entre différentes couches (ou sous couches plus exactement) électroniques. Au niveau seconde, vous avez vu que les électrons d’un atome se répartissaient sur des couches électroniques nommées K,L,M,… En réalité chacune de ces couches se subdivise en sous couche mais passons… Si un photon possède une énergie juste égale à la différence d’énergie entre 2 couches électroniques dans un atome alors le photon est absorbé par l’atome et un électron de l’atome passe d’une sous couche à une autre : on dit alors qu’il est dans un état excité.
Ainsi en éclairant une matière avec des ondes elm de longueurs d’onde variées, certaines d’entre elles se trouvent absorbées et d’autres pas.
D’autre part, l’absorption d’une onde électromagnétique dépend principalement de 3 facteurs :
Ø à même longueur d’onde, l’absorption augmente avec l’épaisseur du matériau
Ø à même longueur d’onde, l’absorption augmente quand le numéro atomique de l’atome augmente
Ø à même épaisseur de matériau, l’absorption augmente quand la longueur d’onde diminue c’est à dire quand l’énergie de l’onde augmente (les rayons X sont moins absorbés que les IR par exemple)
De cette différence d’absorption, on peut déduire de nombreuses informations comme des défauts de structure (fissure dans le support non visible à l’œil nu, les contours du dessin préparatoire sous jacent à l’œuvre définitive, le rajout de couches de peinture ultérieures ,…)
3-
analyse par mesure de l’absorption : gammagraphie, radiographie …
La radiographie et la gammagraphie repose sur le même principe : envoyer sur une œuvre des rayons X ou gamma et placer une plaque photographique derrière celle ci . Les zones plus denses ou constituées d’atome de grand numéro atomique absorberont plus ces rayons et la plaque photographique située derrière ces zones sera moins noircie. Comme ces rayons ont traversés intégralement l’œuvre (sans l’endommager), on peut voir la constitution interne de l’œuvre et en tirer des conclusions sur les fragilités par exemple.
Les rayons X sont utilisés pour les peintures (voir page 5) et les rayons g pour les sculptures, plus épaisses et qui nécessite donc des rayons plus pénétrants (voir page 2).
4-
analyse par mesure de lumière réémise
On peut aussi utiliser des lumières moins pénétrantes comme les UV ou les IR qui ne traverseront pas forcément l’œuvre mais qui seront en partie absorbées par les différentes couches de l’œuvre. La désexcitation des électrons au sein des atomes ou des molécules (l’organisation des niveaux électroniques dans une molécule est beaucoup plus complexe que dans un atome mais le principe reste le même) provoque la réémission d’une lumière de longueur d’onde identique ou différente de la lumière incidente dont l’analyse nous fournit des renseignements sur les couches superficielles de l’œuvre, en particulier les esquisses aux crayons sous la peinture et les rebouchages des trous sur une sculpture avec des matériaux différents des matériaux originaux.
Ainsi la photographie en lumière IR nous montre les contours du dessin préparatoire, nous révélant ainsi la genèse parfois surprenante d’un chef d’œuvre faite d’hésitations, de retouches et autres rafistolages. (voir page 6)
La fluorescence ultraviolet consiste à éclairer une
statue avec des UV et d’observer la lumière visible réémise par les différentes
zones de matériau (voir page 3)
Je
ne traiterai ici que rapidement un seul exemple. Vous pourrez consulter le
document photos pour d’autres exemples où vous chercherez vous même les
interprétations des observations faites.
§
Prenons
la page 1, « la vierge et l’enfant »
école flamande, fin XVème siècle :
On
observe successivement la tableau en lumière visible (tel qu’on le voit à l’œil
nu), en lumière rasante, en fluorescence d’UV et en lumière IR. On n’aurait pu
rajouter la radioagraphie X pour observer les détails les plus profonds de
l’œuvre.
q
En
lumière visible, on voit un tableau à l’allure générale bonne.
q
En
lumière tangentielle (rasante) on voit la mauvaise adhérence des couches
picturales superficielles, la présence de rayures sur le support sous jacent
(dont une très prononcée sur toute la hauteur à gauche du tableau) et le fait
qu’une bordure de 4 à 5 cm tout autour du tableau a été peinte avec une plus
faible couche de peinture .
q
En
fluorescence d’UV, on voit apparaître
plus sombrement les tentatives antérieures pour repeindre les zones
endommagées, notamment sur le manteau et au niveau des craquelures du visage de
la vierge.
q En lumière IR, on voit apparaître le dessin préparatoire dont on peut remarquer la finesse au niveau des plis des vêtements. Les différence d’absorption entre le centre du tableau et la bordure met davantage en évidence le fait que cette zone ait été retouchée ultérieurement.
Il existe bien d’autres techniques utiles lors de l’analyse d’un tableau dont les techniques chimiques dites destructrices mêmes si les dommages commis sur l’œuvre sont négligeables. Le principe consiste à prélever un échantillon de l’œuvre , (en général une peinture) et à analyser sa constitution à l’aide de tests chimiques ou d’autres techniques associées à la chimie ( chromatographie notamment). Ces techniques permettent à la fois de faire des coupes transversales des couches picturales déposées sur le support et d’analyser la constitution chimique des colorants, pigments, liants, solvants utilisés lors de la fabrication des tableaux . Ces informations permettent de déterminer l’origine des peintures (chaque région possédant à un moment de l’histoire un type bien défini de peinture) et de retrouver la constitution de colorants désormais perdus…