Le clonage!!! Voilà un mot qui a envahi tous les espaces
médiatiques avant même que l'on puisse y prendre garde. Combien de Dollys de
toutes les espèces a-t-on vu naître sur Internet et les journaux télévisés. Le
clonage humain est maintenant inséparable de noms qui n'inspirent pas
obligatoirement le calme et la sérénité comme le médecin Severino Antinori ou
le gourou Raël. Mais pourquoi donc tout ce raffut autour d'un éventuel clone
humain? Pourquoi est-ce un débat de société? Et au fait, c'est quoi un clone?
C'est à toutes ces questions que nous allons essayer de répondre.
- C'est quoi un clone?
Comme toujours devant un mot que nous connaissons peu (ou
mal...) nous pouvons nous tourner vers un dictionnaire. Ce bon vieux petit
Robert nous indique la chose suivante:
Clone: Ensemble des individus génétiquement semblables
provenant d'un organisme unique par reproduction asexuée, ou chez les êtres
sexuellement différencié par reproduction anormale sans fécondation. (Ex:
parthénogénèse.)
Et oui, contrairement à l'acception usuelle, un clone représente donc un ensemble
d'organismes identiques. Ce n'est que récemment, par métonymie, qu'il
désigne l'un des membres de ce groupe de copies conformes. Car, cloner signifie
bien copier à l'identique. On pourrait parler d'un paquet de photocopies du
dernier devoir de physique comme d'un clone. Un fichier donné en plusieurs exemplaires
sur un ordinateur pourrait être qualifié de clone lui aussi. Mais, on réserve
le terme de clone au monde vivant. Il faut donc aussi pouvoir définir la similarité
de toutes les entités qui constituent un clone.
C'est ici qu'interviennent les gènes. Depuis, maintenant
un siècle, on sait qu'au coeur d'un organisme vivant on peut trouver des gènes
qui ne sont ni plus ni moins que des instructions de construction et de fonctionnement
de l'organisme considéré. Et c'est cela, ces gènes, que les membres
d'un clone ont de semblable.
Mais s'il l'homme a su inventé la photocopieuse et qu'il
nous parait maintenant très simple de faire une copie d'un fichier informatique,
qu'en est-il des gènes et des organismes? Trouve-t-on facilement des clones?
Courrent-ils les rues? Existe-t-il une cloneuse une machine capable à partir
d'un original de fabriquer un clone?
- Copie ou mélange?
Le clonage ou la reproduction à l'identique est sans doute
le plus vieux mode de reproduction que la nature ait élaboré. Il est utilisé
par les plus sommaires des organismes vivants comme les bactéries ou les paramécies,
mais aussi chez les pucerons ou les abeilles. Le bouturage, pratique fréquente
chez nos amis jardiniers, permet lui aussi d'obtenir un clone à partir de
quelques branches dans de bonnes conditions. L'humanité n'est naturellement
pas en reste car les jumeaux sont un exemples de clone. L'obtention de
clones en soi n'est donc en rien contre nature et en aucun cas l'apanage
de l'Homme ou du vingtième siècle.
A l'échelle d'une espèce, néanmoins, ce type de reproduction
où rien ne change , où l'on se contente de copier à l'identique peut s'avérer
problématique en raison de son manque d'adaptabilité. Imaginons un
palmipède au plumage extrèmement dense parfaitement adapté aux froides contrées
où il erre heureux. Supposons que son seul mode de reproduction soit celui
du clonage. On suppose alors qu'il existait en des temps reculés un palmipède
primordial tout juste pareil à celui qui est devant nous. Si un changement
de climat survient qui transforme son habitat glacé en forêt équatoriale,
il est à craindre que notre palmipède soit condamné à mourir de chaud. En
fait, cela ne se passe pas exactement comme ça. Les gènes des espèces à reproduction
asexuée uniquement, évoluent aussi un petit peu au gré de mutations, de changements
aléatoires. Mais cette évolution est relativement lente.
La nature a trouvé une réponse beaucoup plus efficace à
ce problème d'adaptabilité. Cette solution, les Hommes en profitent amplement
depuis longtemps: la reproduction sexuée. Fini la copie conforme, cette fois
on brasse, on mélange. Deux gamètes, un mâle(le spermatozoïde chez l'Homme)
et un femelle(l'ovule chez l'Homme), porteurs des gènes de deux individus
distincts fusionnent pour donner une nouvelle entité porteuse d'un mélange,
d'un brassage des gènes mâles et des gênes femelles. Ainsi, chaque génération
voit l'apparition d'un membre nouveau, génétiquement différent des précédents.
L'adaptabilité de l'espèce s'est donc accrue car à chaque génération on invente
de nouveaux plans de construction. Cela se fait peut-être au détriment de
l'optimisation de l'adaptation à des conditions déterminées.
Si le clonage existe dans la nature et que l'homme y a déjà
été confronté pourquoi donc le débat sur le clonage semble-t-il si récent
et si virulent? Sans doute pour deux raisons principalement:
- l'une technique: maintenant l'Homme ne se contente pas de voir
le phénomène de clonage, il est capable de le déclencher, de provoquer volontairement
un clonage.
- l'autre morale: cette dernière découlant de la précédente: l'Homme
est sur le point de pouvoir appliquer cette méthode à lui-même.
- Comment fait-on un clone?
Il est temps de nous intéresser aux modalités du clonage.
Le changement, c'est la maîtrise relative que l'Homme a récemment acquise
en terme de clonage. En effet, depuis quelques temps, il a amélioré, affiné,
diversifié ses techniques. Grâce à l'arsenal des techniques de la biologie
moléculaire, il peut facilement cloner des cellules ou des gènes. Le clonage
des gènes revêt un rôle central car il est maintenant quasi omniprésent dans
le monde pharmaceutique et médical. Un nombre incalculable de médicaments
et de traitements sont issus de ces techniques. Le principe de base est l'utilisation
de la capacité de certains organismes comme les bactéries ou les levures de
pouvoir multiplier en un grand nombre d'exemplaires un gène que l'on insère
dans cet organisme. On se sert d'une cloneuse naturelle, mais on a
trouvé un moyen de lui donner les informations que l'on souhaite copier, ainsi
que de récupérer les copies.
Mais le clonage des gènes ou même des cellules, malgré leur
apport étonnant, n'a pas généré un intérêt énorme dans l'opinion publique.
Sans doute, est-il difficile de se représenter la copie de quelquechose que
l'on ne voit pas. Il en a été tout autrement lorsque les techniques mises
en place ont permis de cloner un animal visible et surtout proche de l'homme.
Le clonage aboutissant à la naissance de la brebis Dolly par Ian Wilmut et
Keith Campbell de l'Institut Roslin en Ecosse en 1996 a été un raz-de-marée
médiatique. Du jour au lendemain, le mot clone est entré dans le langage courant.
Mais comment ont-ils fait? Juste après la fusion des deux
gamêtes, lors d'un reproduction sexuée, la grande cellule ainsi obtenue va
subir des cycles successifs de divisions. On obtient deux, puis quatre puis
huit cellules appariées qui possèdent toutes le même patrimoine génétique.
Jusqu'à ce stade de divisions, chacune de ces cellules à la possibilité de
donner naissance à un être entier. On dit que ces cellules sont totipotentes.
Si on sépare ces cellules artificiellement ou non et qu'on les implante dans
des uterus de femelles de la même espèce, il est possible d'obtenir jusqu'à
huit jumeaux génétiquement identiques. Au delà de la division en huit, les
cellules vont commencer à se différencier, c'est-à-dire qu'elles n'auront
plus la possibilité de donner une être entier. Comme il n'est pas facile de
construire quelquechose d'aussi complexe qu'une brebis ou qu'un homme, il
faut mettre en place un planning serré pour ne pas faire de bêtises. Ainsi,
toutes les cellules portent la même information génétique, mais au fur et
à mesure de leur différenciation, elles ne vont plus pouvoir aller lire certaines
de ces informations, elles vont se spécialiser. Cette cellule-ci donnera des
os, celle-là deviendra une cellule sanguine et elles ne pourront plus faire
machine arrière, des portes se seront fermées. C'est ce que l'on croyait avant
Dolly.
En effet, l'équipe écossaise, après avoir enlevé le noyau
d'un ovule de brebis, a remplacé ce noyau par celui d'une cellule adulte différenciée.
C'est dans le noyau d'une cellule que l'on trouve son patrimoine génétique,
ses gènes. L'ovule s'est alors divisé comme si une fécondation avait eu lieu.
Et le plus extraordinaire, c'est que dans ces conditions, tous les verrous
imposés par la spécialisation ont sauté: le noyau de la cellule adulte est
redevenue capable d'orchestrer la formation d'un être complet. Cette technique
est maintenant appliquable à de nombreux autres animaux, mais il faut noter
que son taux de réussite n'est pas très grand.
- Des clones pour quoi faire?
L'homme est donc maintenant capable de procéder au clonage
d'un très grand nombre d'espèces. Mais en quoi cette technique peut-elle lui
être particulièrement utile? Pouvoir copier une entité à l'infini est certes
une belle prouesse, mais cela a peu d'intérêt si l'on ne peut vérifier et
choisir ce que l'on copie. Et bien, l'Homme possède aussi cette étonnante
capacité dans son escarcelle technologique. Il peut tout du moins contrôler
ou modifier une partie du patrimoine génétique d'un animal avant d'en
faire une copie. On a pu ainsi obtenir des singes et des souris fluorescents
qui loin d'être des gadgets vont permettre aux biologistes de mieux comprendre
le fonctionnement intime du vivant. La connaissance de cette mécanique est
souvent le premier pas vers la maîtrise des dysfonctionnements que sont les
maladies.
Au vu des avancées énormes qui ont découlé du clonage de
nombreuses espèces, il est légitime que se soit posée la question du clonage
humain. En effet, le clonage humain pourrait permettre de soigner un très
grand nombre de maladies, bien que ce soit encore hypothétique. Mais on touche
alors à l'intégrité et à la dignité de l'Homme. Comme le signale le Conseil
d'Etat dans un rapport de 1999, on se retrouve pris entre deux feux, il faut
trouver "un juste équilibre entre deux principes éthiques essentiels: le
respect de la vie dès son commencement et le droit de ce qui souffrent à voir
la collectivité entreprendre les recherches les plus efficaces possibles,
pour lutter contre leur maux."
De fait, on a coutume de distinguer deux types de
clonage humain:
- le clonage reproductif qui a pour but de produire un être humain
complet. Le processus de clonage est poursuivi jusqu'au bout.
- le clonage thérapeutique: on ne laisse pas l'embryon fécondé se
développer complètement. Le développement est arrêté lorsque l'on en peut
en extraire des cellules souches embryonnaires. Celles-ci encore
peu spécialisées et de même patrimoine génétique que le malade pourraient
permettre des greffes sans rejet.
On ne peut éliminer l'atroce intermédiaire que constituerait un clone décérébré
qui ne serait qu'un réservoir de cellules ou d'organes. Mais surtout il est
clair que ceci nous interroge sur la définition même de la vie et de sa valeur.
Quelques soient les techniques et les types de clonage, il y a création d'un
embryon dont le statut tant social, moral que législatif est loin d'être tranché.
De plus, les approches législatives par exemple, sont extrèmement variées suivant
les pays. Ce qui est sûr, c'est que ces questions sont d'une importance capitale
et qu'il est normal qu'elles donnent lieu à débat.
- Clones, éthique et société.
Des problèmes d'éthique ont toujours été soulevés par le
rapport au corps humain ou à la vie humaine. Les débats sur le droit à l'avortement
sont encore virulents. Tout don d'organes d'une personne vivante se fait en
regardant la balance avantage/risque, tant pour le donneur que le receveur.
Il en va de même pour les choix à venir sur le clonage à ceci près que c'est
l'espèce humaine tout entière pour laquelle on pèse le pour et le contre.
Si demain le clonage reproductif est monnaie courante, la
famille sera sans doute amenée à disparaître ou du moins à se métamorphoser.
En effet, en inventant un nouveau type de filiation, c'est toute la structure
familiale qui se modifie. Quel serait le statut social de ces nouveaux fils?
Certainement pas aussi noir que celui du Meilleur des Mondes (livre
fiction de Huxlet), mais il serait à réinventer comme la société.
Le monde étrangement eugéniste de Bienvenue à GATTACA
n'est pas très loin de nous, techniquement parlant. De ce monde, les parents
bénéficient d'une aide médicale à la procréation très poussée. Comme pour
une fécondation in vitro, la femme est soumise à un pic d'hormones,
ce qui permet de collecter un certain nombre d'ovules. Chacun de ces ovules
est inséminé avec le sperme du mari. Ce n'est qu'ensuite que l'on fait le
tri. Pour chaque ovule fécondé, on obtient une fiche donnant les statistiques
(espérances de vie, pourcentage de chance d'avoir telle ou telle maladie,
couleur des yeux...). Les parents choississent ensuite l'ovule qui sera réimplanté
dans l'uterus. Nous n'en sommes pas encore là, car nous n'avons pas encore
les données permettant d'établir de telles statistiques. Mais il est possible
pour un certain nombre de maladies génétiques de procéder à un diagnostic
préimplantatoire. Tout se passe exactement comme précédemment mais on n'effectue
qu'un test (par exemple présence d'un troisième gène 21) et on réimplante
(s'il y en a un) un des ovules, qui en raison du brassage des gènes lors de
la fécondation, n'est pas porteur de la maladie. Ce n'est pas à proprement
parler du clonage car il s'agit juste d'un choix sur l'information génétique
qui passe à la génération suivante. Mais, c'est justement cette possibilité
de choix, alliée à celle de copie, qui est à la fois porteuse d'espoirs et
de dangers.
On ne peut pas passer sous silence une autre menace un petit
plus indirecte que pourrait causer le clonage humain. L'obtention par pics
d'hormones des ovules qui permettent le clonage est loin d'être anodine. Dans
un monde sans cesse plus dissymétrique, plus inégalitaire, pourquoi ne naitraît
pas un traffic d'ovules? Afin de s'épargner les risques et les inconvénients
de cette intervention, un couple aisé pourrait être tenté d'obtenir des ovules
d'une autre femme à la recherche d'argent.
- Conclusion
Voilà, j'espère que vous avez une idée un tout petit peu
plus claire de c'est qu'est un clone et de l'incidence que le clonage humain
pourrait avoir en bien comme en moins bien. Je n'ai pas abordé, loin s'en
faut, l'ensemble des problèmes soulevés par le clonage, mais espère en avoir
assez dit pour vous intéresser à ces questions.
Il ne faut pas oublier que les techniques utilisées pour le clonage ont un
rendement assez faible. Les premiers essais animaux ont été l'occasion d'échecs
importants. Mais il est sûr que tôt ou tard, les différents problèmes techniques
seront surmontés. Il sera alors bon que l'ensemble des sociétés humaines aient
pesé les incidences du clonage humain et sachent dans quel cadre elles souhaitent
le voir s'exercer.