Généralement, quand on parle de radiesthésie, on imagine un pépé à chapeau paysan concentré sur sa baguette fourchue pour trouver une source dans une montagne aride. Mais la radiesthésie, c'est bien plus vaste que ça. Nous allons faire un rapide tour d'horizon des capacités présumées des radiesthésistes, puis tenter de voir si ça marche et comment ça marche.
Le mot « radisthésie » date de 1930. Il recouvre donc des notions relativement récentes. La radiesthésie contemporaine est un ensemble de techniques visant à détecter des objets ou des événements à l'aide de radiations. On utilise un pendule ou une baguette pour détecter ces radiations, mais en fait il s'agirait d'un sens spécial, comme le goût ou le toucher, qui les reçoit ; le pendule ou la baguette ne serviraient que d'amplificateur de ce sens-là. Les théoriciens de la radiesthésie ne s'accordent pas quant à luniversalité de ce sens : est-il réservé à certains ou bien tout le monde l'a sans le savoir ?
Là encore, les prétentions varient. L'utilisation la plus connue de la radiesthésie est la recherche de sources, de gisements de minerais, de trésors enfouis. En général, il s'agit de chercher quelque chose de caché, d'inaccessible aux cinq sens usuels. L'eau, les minerais, les trésors, bien sûr, mais aussi les épultures, les grottes, les truffes, les morilles, les objets perdus, les personnes disparues. On peut déterminer grâce à un simple pendule de quoi souffre une personne, de quelle correction oculaire elle a besoin, qui a tué Harry, qui a volé les tartes, quelles actions il faut acheter en bourse, où se trouve le Nord, si Juliette doit se marier avec Robert ou avec Roméo, le sexe d'un futur bébé, les faux en écritures, etc. Tout cela grâce aux radiations.
Ça dépend des gens et des techniques utilisées. L'utilisation de la baguette de sourcier (rhabdomancie pour faire chic) a peu à peu laissé la place à l'utilisation du pendule (crémastomancie pour faire encore plus chic). L'avantage du pendule, c'est qu'on peut faire de la téléradiesthésie, alors qu'un baguettisant doit forcément se rendre sur le terrain. La téléradiesthésie est la radiesthésie à distance : au lieu de se déplacer, on utilise un plan ou une photo. Le principe est simple : on se déplace avec la baguette ou le pendule sur le terrain (ou on déplace le pendule au-dessus du plan) et au moment où on reçoit les radiations qui correspondent à ce qu'on cherche (qui répondent oui à la questin que l'on pose), notre sens radiesthésique fait réagir nos muscles : la baguette bascule ou le pendule se met à tourner (dans un sens ou dans l'autre).
Bing. Mauvaise question, ou tout du moins question mal placée. Avant de chercher à comprendre comment un phénomène marche, il faut le constater, il faut demander si ça marche.
Pour faire court : non. Jusqu'à présent, on n'a pas constaté le phénomène radiesthéique.
Pas loin ! En fait, la recherche de sources est la partie émergée de l'iceberg. Il y a une grande tradition de sourcellerie, avec des tas de témoinages en faveur du sourcier. Mais il ne faut pas oublier une chose : le sourcier a des yeux et un cerveau. S'il lui arrive de réussir, ça ne prouve nullement que le phénomène existe. Déjà, il peut avoir eu du bol. Et puis avec une solide expérience de terrain, on arrive, en observant la végétation, en connaissant le type de sous-sol de la région, à déterminer l'emplacement d'une nappe souterraine. Mais ça, un ingénieur hydrologue des eaux et forêts sait le faire aussi, et plus sûrement. Quand on fait des essais contrôlé en éliminant ces facteurs visuels, les résultats sont sans appel : il n'y a pas de phénomène radiesthésique.
Hé oui. Et en plus là, c'est facile à tester. Test simple, réalisé en 1935 par le doctur Rendu : on fournit à des radiesthésistes un plan d'appartement et on leur dit qu'on a mis une masse métallique (d'argent ici) dans une des pièces. Grâce à leur pendule et au plan, ils doivent dire dans quelle pièce se trouve la masse. On déplace la masse tous les trois jours : dix emplacements successifs dans dix pièces pendant un mois. Les radiesthésistes étaient d'accord avec le protocole expérimental. Ils prétendaient avoir au moins 80% de réussite, c'est-à-dire 8 emplacements sur 10. Sur 86 radiesthésistes, 31 eurent tout faux, 33 une bonne réponse, 14 deux bonnes réponses, 7 trois bonnes réponses et un seul quatre bonnes réponses. Pas mieux. Un autre groupe de gens, tirant au hasard les emplacements, eut à peu près les mêmes résultats. Facile à faire, résultat sans appel. Les expériences bien contrôlées du même genre ne manquent pas ; toutes sont des échecs pour la radiesthésie.
Ah, voilà Yves Rocard. Tout d'abord, même si Yves Rocard avait raison, ça ne justifierait absolument pas tout ce que les radiesthésistes prétendent. Lui parlait de détection de sources et de métaux et c'est à peu près tout. La téléradiesthésie, par exemple, est totalement exclue de ce qu'a fait Rocard. Bon. Et ensuite, oui, sur ce coup-là, Rocard est un naïf : il ne s'est pas entouré des précautions expérimentales indispensables, tout à son envie de croire et de trouver qu'il était. C'était un grand scientifique, certes, mais là il a manqué de jugement et de bonne foi. Il l'a avoué lui- même onze ans après la parution de son premier livre : il avait négligé de tenir compte de certains facteurs d'autosuggestion. Toutefois, il n'a pas retenu la leçon pour son livre suivant, où on trouve de curieuses méthodes statistiques et une bonne dose de mauvaise foi peu propre à un ouvrage scientifique. Ses expériences ont été refaites sérieusement : échec, encore une fois.
Non, j'espère que non. Ils sont convaincus de leur don, parfois même ils ne font pas payer leurs services. Évidemment il doit y avoir des charlatans, mais je doute que ça soit la majorité. Ils mettent beaucoup de conviction dans ce qu'ils font, mais ce qu'ils font ne marche pas mieux que le hasard.
Hum. Faut le dire vite. Quand une commune paye un radiesthésiste pour lui trouver de l'eau, elle dépense un peu n'importe comment l'argent du contribuable, surtout si elle fait creuser un puits à l'emplacement indiqué et qu'il ne s'y trouve pas d'eau. Les exemples de ce genre ne manquent pas. Encore plus grave, la médecine radiesthésique : on s'aide du pendule pour le diagnostic de la maladie. Évidemment, c'est un échec total. Peut-on ainsi jouer avec la vie d'un malade ? Tant que ça reste une sorte de spectacle folklorique, pourquoi pas ? Mais ça ne doit pas sortir de là. Les questions sérieuses ont besoin de réponses sérieuses. La radiesthésie est une discipline héritée de pratiques magiques d'un autre âge et sans cesse remises au goût du jour sans jamais se soucier de vérifier ses résultats. si vraiment il y a une sensibilité humaine à des gradients de champ magnétique, peut-être la découvrira-t-on un jour. En attendant, ni Yves Rocard, ni les radiesthésistes, ni toi ni moi ne savons si elle existe et encore moins comment l'utiliser.
Annexe : comment s'arranger avec les statistiques, par Yves Rocard.
Dans le chapitre « Expériences en aveugle » de son livre « La science et
les sourciers », Yves Rocard décrit ses expériences. L'expression « en
aveugle » signifie que le radiesthésiste n'est pas au courant de ce qu'il
est censé percevoir. En l'occurrence, il s'agit d'un champ magnétique créé
par un système de bobines. En inversant le sens du courant électrique, on
change le sens du champ magnétique créé. Au début du test, on étalonne le
sujet : on fait passer le courant dans un sens, noté +, et on note le sens
de rotation du pendule tenu par le sujet. Puis on change de sens et on
vérifie que le pendule tourne dans l'autre sens. Vient le test au hasard
proprement dit : on fait passer le courant dans un sens, on note la
rotation du pendule, puis on passe à l'essai suivant en changeant ou non le
sens su courant, au hasard. Voici les résultats des trois séries de
10 essais (notés V et F pour vrai ou faux) :
Il faut noter que le hasard seul donne 50% de réussite. Ce n'est donc pas
terrible. Mais il en faut plus pour démonter Yves Rocard. Je cite : « on
observe sans peine que les résultats auraient été meilleurs si les séries
avaient été plus courtes ». Et propose de se limiter aux quatre premiers
essais, en justifiant cela à posteriori par la fatigue qui donnerait de
moins bons résultats à la fin de la série. Gageons que si les résultats
avaient été meilleurs à la fin qu'au début, il aurait trouvé une autre
bonne raison. Voilà ce que les séries deviennent :
En passant, pourquoi quatre essais et pas trois ou cinq ? Facile : avec trois essais, on obtient 67%, 67% et 33%, et avec cinq 60%, 60% et 40%. Magique, non ?
Mais Rocard ne s'arrête pas là. Vous vous souvenez qu'au début de chaque
série, on étalonne le sujet en faisant deux tests qui par définition sont
réussis. Eh bien soyons fous, ajoutons ces deux résultats positifs,
histoire de faire encore monter les scores. On a alors :
Voilà comment on montre que la radiesthésie existe avec des résultats en sa défaveur. « Pourquoi pas ? Si cette procédure avait été convenue avant les expériences, tout le monde l'aurait acceptée », dit Yves Rocard en guise de justification. C'est donc simple : les résultats nous conviennent, on les garde. Ils ne nous conviennent pas : on change le protocole de l'expérience en cours ou après coup. C'est totalement inacceptable sur le plan scientifique. D'autre part, cela montre qu'il faut se méfier au plus haut point des statistiques présentées n'importe comment. Rocard nous donne là une formidable leçon de truquage de données. C'est un peu comme si, ayant tiré 100 fois à pile et obtenu 49 pile et 51 face, j'extrayais une suite remarquable de pile pour déduire que ma pièce était faussée ou influencée. Astucieux, non ? À retenir pour la vie de tous les jours...