L'astrologie, censée être une science millénaire et universelle de prédiction, connaît depuis quelques dizaines d'années un renouveau très important en France. Nous allons voir ce qui se cache derrière tout ça...
Ah bon, tu y crois. Et à quoi crois-tu exactement ?
Ben à l'astrologie, je viens de le dire. L'influence des astres, les horoscopes, tout ça.
L'influence des astres sur la vie ici-bas, c'est effectivement le postulat de départ de la doctrine astrologique. Mais tu crois à l'astrologie stellaire ou à l'astrologie tropique ? À l'astrologie karmique ou à l'astrologie généthliaque ? À l'astrologie chinoise ou à l'astrologie occidentale ?
Oui, un peu, je l'avoue. C'est juste pour dire que l'astrologie est loin d'être unique et universelle. N'empêche que si tu dis que tu crois à l'astrologie, je suppose que tu connais à peu près les principes de bases de ce à quoi tu crois. Intelligent comme tu l'es, tu ne crois pas aveuglément à quelque chose sans te poser de question, n'est-ce pas ?
Moui. C'est un peu léger, mais en gros c'est ça. Il faut préciser un peu en disant que l'on ne peut pas se contenter du signe : il faut établir, en fonction de l'heure et du lieu précis de la naissance, la position des astres dans le ciel de naissance. Le signe est déterminé par la position du soleil au zénith le jour de la naissance par rapport au zodiaque.
En fait, il y a toute une cuisine assez compliquée à mettre en œuvre pour établir des prédictions astrologiques. La première partie est la constitution du thème astral (ou horoscope au sens étymologique de ce terme) qui est effectivement la position des astres dans le ciel au moment de la naissance. Ensuite, il faut interpréter ce thème astral. Et c'est là que le bât blesse : si la première partie est objective, relève de l'observation des astres, la partie d'interprétation relève, elle, de l'arbitraire symbolique et magique.
Pour comprendre cela, il faut remonter près de cinq mille ans en arrière, au moment où sont nées conjointement l'astrologie et l'astronomie. On a regardé vers le ciel et observé ce ciel : l'astronomie était née. En même temps, on a constaté que ce qui se passait dans le ciel était corrélé avec ce qui se passait sur terre, notamment en ce qui concerne les saisons. On a donc établi des lois d'influence partant du principe que la terre est la copie du ciel, que ce qui se passe sur terre est indissociable de ce qui se passe dans le ciel et que ça en est le reflet : voilà la naissance de l'astrologie. Tout le dogme astrologique repose sur la croyance qu'il existe une harmonie suprême, l'immense symphonie de l'Univers.
Ah non, sûrement pas. Ce dogme de l'harmonie suprême, bien que pas du tout scientifique (comme tout dogme), repose sur des observations (comme beaucoup de dogmes). Le problème n'est pas l'idée en elle-même, plutôt séduisante et qui a animé entre autres bien des scientifiques, mais comment les gens structurent cette harmonie et ce qu'ils en déduisent. L'astronome convaincu d'une telle harmonie cherchera à trouver des lois des mouvements des planètes, par exemple, mais confrontera ses lois à l'observation, essayera de vérifier ses prédictions. L'astrologue, lui, cherchera à trouver les lois des influences des astres sur les hommes (je vais expliquer comment) et s'en tiendra là. Mais ça, on en reparlera.
Considérant en même temps la terre et le ciel, on a donc associé aux astres et aux planètes des significations en fonction de ce qui se passait sur terre. Les constellations, par exemple, ont été définies et nommées pas forcément en fonction de leur forme, mais souvent en fonction des saisons : la constellation du Verseau est traversée par le soleil en janvier-février, moment où il pleut beaucoup ; celle du Taureau correspond à avril-mai, période de fécondité de la nature ; celle du Lion correspond à un moment où il fait très chaud, août... et pourtant, il faut un grand effort d'imagination pour superposer l'animal à la constellation. La constellation, je le rappelle, n'a aucune réalité physique : il s'agit de la projection sur une voûte fictive d'étoiles situées à des distances de la terre totalement différentes. C'est un moyen bien pratique de se repérer dans le ciel, utilisé par tous les astronomes ; d'ailleurs le tracé actuel des constellations a été fixé (arbitrairement) en 1928 : il y en a 88.
Attends, pour l'instant c'est de l'astronomie. En passant de l'astronomie à l'astrologie, la constellation devient signe. En fait, seules les constellations traversées par le soleil dans sa course apparente autour de la terre sont retenues par les astrologues. Il y en a douze, qui forment le zodiaque (le zodiaque est en gros la trajectoire apparente du soleil sur la « voûte céleste » au cours de l'année). En fait il y a treize constellations traversées, mais personne ou presque ne s'en soucie parmi les astrologues. Peu importe, je ne vais pas relever toutes les contradictions internes de l'astrologie, ça nous prendrait trop de temps et de schémas et ça ne change rien au résultat. Contentons-nous donc des douze constellations, formant douze signes.
Les influences astrales sont alors symboliques : si je suis né dans le signe du Lion, je serai orgueilleux, fort et autoritaire... comme le lion. De même pour les influences des planètes : la planète Vénus, blanche et limpide, a donné une impression de pureté et d'amour, c'est pourquoi on l'a appelée Vénus, du nom de la déesse de l'amour. Cette planète exercera donc son influence dans les domaines de l'amour, du plaisir, des enfants, de l'art. Le lien est donc symbolique, sans aucune justification réelle. Peu importe aux astrologues que Vénus soit une planète invivable à l'atmosphère irrespirable, aux vents violents et aux températures extrêmes. À l'inverse, la planète rouge se nomme Mars du nom du dieu romain de la guerre, et est censée exercer son influence dans les domaines de la guerre, de la mort ; pourtant aujourd'hui Mars signifie la vie : soit celle des petits hommes verts sortis de l'imagination des auteurs de science-fiction, soit celle de l'humanité pour ceux qui pensent que l'Homme devra un jour émigrer hors de la terre pour coloniser une autre planète. L'interprétation objective donne des résultats bien différents de l'interprétation symbolique. Ainsi est construite l'astrologie : sur des symboles sans fondement réel.
Erreur ! On croit souvent qu'il est impossible de montrer que l'astrologie ne marche pas, mais c'est faux. Bien sûr, on ne peut pas prouver théoriquement que les astres n'ont aucune influence sur le caractère et la destinée des Hommes (c'est d'ailleurs faux : le simple phénomène des marées, dû au Soleil et à la Lune, intervient dans la vie des marins, des vacanciers, etc.) : quand on objecte à un astrologue qu'aucune des interactions physiques connues ne peuvent expliquer un éventuel phénomène astrologique, ils peuvent toujours répondre qu'il doit s'agir d'une interaction encore inconnue et que ce n'est pas à eux, astrologues, mais aux scientifiques de la découvrir. Mais de toutes façons, à quoi servirait d'essayer d'expliquer un phénomène avant d'en avoir constaté l'existence ?
On ne peut pas prouver l'inexistence du phénomène astrologique de manière théorique, donc ; par contre on peut la prouver par les statistiques, et ça a été fait à plusieurs reprises.
Il y a bien des méthodes... On peut, par exemple, fournir à un astrologue différents profils psychologiques d'individus, établis suivant des lois objectives. Un seul correspondra à une personne dont l'astrologue détient l'horoscope de naissance. L'astrologue devra reconnaître le profil psychologique correspondant à la personne dont il connaît l'horoscope. S'il ne trouve pas le bon, ça veut dire que les prédictions astrologiques sur les caractères des gens ne correspondent pas à la réalité. Si on reproduit cette expérience avec un grand nombre d'astrologues, on constatera que les résultats sont ceux que prévoyait le simple tirage au hasard. Plus simplement, on peut pour s'amuser un peu présenter à un grand nombre de personnes le même horoscope et voir s'ils s'y reconnaissent... succès assuré, surtout si on annonce par la suite que l'horoscope en question était celui du docteur Petiot, célèbre assassin. On dispose en fait de tout un arsenal de tests qui ont à maintes reprises prouvé l'échec pratique de l'astrologie.
Elle voulait sûrement parler de l'effet Mars, mis en évidence par Michel et Françoise Gauquelin. Effectivement, les résultats des Gauquelin ont fait du bruit entre 1955 et les années 1980. Les astrologues citent toujours ces résultats comme favorables à l'astrologie. Ce qu'ils oublient de dire, c'est que les Gauquelin commencent par dire qu'il ressort de leurs études qu'il n'y a aucune corrélation entre la position du Soleil dans le zodiaque et le psychisme humain (autrement dit que les signes, les Lions autoritaires et orgueilleux, tout ça, c'est n'importe quoi). Ce qu'ils trouvent, c'est que la position de certaines planètes dans le ciel de naissance peut exercer une influence en faveur d'un avenir dans une profession précise. Les sportifs seraient plus nombreux à être nés lorsque Mars se lève à l'horizon ou lorsqu'il culmine dans le ciel. Là encore, c'est bien défavorable à l'astrologie : c'est justement à ces moments-là que Mars est censé avoir le moins d'influence. Et puis il faut avouer, en comparaison avec les prétentions des astrologues, ces résultats sont bien faibles. L'astrologie est censée guider notre vie au quotidien, mais tout ce qu'on trouve c'est un petit effet de quelques planètes sur la profession... il faudrait un peu rabattre son caquet, non ? Bon, et puis cet effet Mars, en fait, n'est rien d'autre qu'une expérience mal menée. Ce n'est pas le tout de faire des statistiques sur plein de gens, encore faut-il les faire correctement. Les tests statistiques ont été faits et refaits depuis leur parution, avec des échantillons contrôlés, et sont négatifs : pas d'effet Mars. Après plus de quatre mille ans d'Histoire de l'astrologie, on en est encore à essayer désespérément de trouver un petit effet. Dérisoire, non ?
Que te dit ton horoscope ? Que tu vas connaître une semaine fatigante, que tes rapports avec autrui vont être au beau fixe, qu'une présence féminine saura t'apporter du réconfort, que tu vas avoir des rentrées d'argent, que le climat au travail sera tendu, etc. ? Je peux en faire aussi, des prévisions comme ça, et elles se réaliseront aussi bien que celles de tes horoscopes. « Un astrologue ne saurait avoir le privilège de se tromper toujours », disait Voltaire. Tout l'art de l'astrologue est de faire des prédictions suffisamment imprécises pour se vérifier sûrement. Quand les prédictions sont précises, elles ne résistent pas aux tests. La célèbre astrologue du show-biz Élizabeth Teissier, qui se bat depuis des années pour faire revenir sa superstition à l'Université (d'où Colbert l'avait chassée en 1666 car il estimait que l'astrologie, dépassée par les connaissances scientifiques, n'avait plus à être enseignée comme science mais relevait de la superstition), et qui risque de réussir, prétend régulièrement qu'elle obtient 80% de résultats justes. C'est un mensonge pur et simple. Elle ose même prétendre qu'elle avait prédit les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, alors que c'est faux et archi-faux ! Dans « Votre horoscope 2001 », 2000, Filipacchi, elle donne le 11 septembre 2001 comme jour favorable pour les voyages et les transports. Elle s'en sort après coup en prétendant que ce jour-là, la majorité des avions et trains sont arrivés à bon port. On croit rêver ! Quand les prédictions sont précises, elles sont invérifiables. Quand les prédictions sont vérifiables, elles sont tellement floues que ça marche tout le temps. J'ai fait avec des amis un petit site d'évaluation de ce qu'Élizabeth Teissier prévoyait pour 2001, tu peux aller voir.
Faire leur beurre, comme tu dis, ça revient à arnaquer les gens, à profiter de leur détresse pour s'enrichir en leur mentant. Mais passons, mettons que ça ne me regarde pas. Ça commence à me regarder quand je sais que les gens qui me gouvernent ont recours à l'astrologie (François Mitterrand consultait, paraît-il, Élizabeth Teissier ; Ronald Raegan utilisait également l'astrologie...), quand des gens qui peuvent m'embaucher me refusent sous prétexte que je ne suis pas du bon signe : c'est interdit, mais ça arrive souvent. Ça me regarde quand l'astrologie se mêle de faire des diagnostics médicaux, de planifier mes voyages, quand des gens me jugent sur des critères astrologiques. « Ce qui est grave, ce n'est pas que tant de gens croient à l'astrologie, c'est qu'ils jugent de choses sérieuses avec des têtes qui croient à l'astrologie », a écrit Jean Rostand. Et pour être grave, c'est grave : les astres n'ont aucune influence, par contre l'astrologie en a. Et rien que par le fait qu'elle existe, l'astrologie me dérange : en niant mon libre arbitre, en prétendant que ce sont les astres qui influencent mes décisions, l'astrologie insulte mon intelligence, me prend pour un con. Un astrologue pourra rassurer une personne en détresse qui vient chercher des réponses à ses questions, comme une voyante, comme le gourou d'une secte ou le prêtre d'une religion. Se rassurer en se fermant les yeux, voilà ce que tout cela propose.
Oui, je suis rationaliste : je refuse qu'on me prenne pour un débile, alors j'essaie d'exercer mon esprit critique. Mais je ne vois pas ce qu'il y a de contradictoire entre le fait d'avoir un peu de sens critique et le fait de rêver, entre la science et la beauté. Je rêve tant que je peux, comme tout le monde. Seulement il est parfois bon de ne pas prendre ses fantasmes pour la réalité. Surtout que ce qu'on oublie souvent, c'est que la réalité est souvent plus belle que les fantasmes que nous fabriquent ces marchands d'illusions. Que vaut l'astrologie avec son ciel étriqué, avec son zodiaque étroit, ses planètes aux influences mesquines, face à l'insondable Univers que les astronomes et les astrophysiciens nous montrent peu à peu ? Regarde le ciel tant que tu peux, ne cherche pas à le désenchanter, mais ne viens pas lui prêter des intentions qu'il n'a pas.
Bibliographie :