En voilà un gros morceau pour une si petite bafouille...
je vais essayer d'expliquer comment est rythmée la vie de tout chercheur
qui se respecte.
Mais comment vais-je faire le mois prochain pour aiguillonner vos petits esprits
si d'ores et déjà je vous donne la « recette » pour mener des recherches ?
Je ne sais pas, mais mieux vaut commencer fort pour attirer votre attention.
En tout cas j'essayerai de résoudre chaque mois des questions de plus en plus
cruciales. C'est ambitieux, mais à ce rythme dans quelques années nous aurons
résolu tous les problèmes fondamentaux qui font notre vie.
Recadrons un peu le débat : quels sont donc les trois temps de la
vie du chercheur, qu'y a-t-il après « chercher » et « trouver » ?
La réponse est évidente : « publier ». En effet « chercheur »
est un mot bien restrictif quand on sait que chacun obtient des résultats
(autrement dit, qu'il trouve), puis qu'il les communique aux autres (à
quels autres ?, voilà une bonne question qu'il me faudra traiter
dans les mois prochains).
Bref au final, il publie. Voilà, ainsi va la vie « chercher »,
« trouver », « publier » , « chercher »,
« trouver », « publier », « chercher », « trouver »,
« publier »... (tchou tchou).
Personne n'échappe à la règle, théoriciens ou expérimentateurs.
Clairement, la recherche privée fonctionne sur un mode un peu différent :
on ne publie pas, souvent on fabrique un produit (les découvertes restent secrètes).
Cela dit, on dépose généralement un brevet qui fait office de publication (même
s'il interdit l'utilisation de la connaissance).
Dans le secteur public, un article doit connaître la diffusion la plus vaste
possible, c'est très précisement ce cas là que je vais développer dans la suite.
Il est bien loin le temps où pour communiquer et offrir au monde leurs
résultats, les scientifiques s'écrivaient des lettres ou compilaient
plusieurs années de travaux dans un livre.
De nos jours, la science couvre trop de domaines et touche trop de personnes
pour qu'il en soit encore ainsi. La « communication » s'est organisée.
Petit à petit par domaine, des revues ont émergé afin de publier régulierement
des travaux. « Nature », « Science », hebdomadaires, restent
généralistes et couvrent plusieurs domaines: biologie, médecine, chimie, physique,
mathématiques...
La masse des autres revues touche plutôt une communauté précise :
neuroscience, physique atomique, maths financières par exemple.
Voyons plus précisement comment se passent les choses : je suis généticien
et je crée du maïs qui brille dans le noir (c'est une hypothèse).
N'étant pas au service d'une entreprise, je décide de publier mes résultats
(la recette de fabrication en fait). Je rédige ma « recette » (quatre
ou cinq pages par exemple) et je l'envoie à la revue « Nature ».
Avant de publier, cette derniere se doit de vérifier les informations
(sinon des petits malins inventeraient des résultats pour se faire de la pub).
Dans ce but la revue envoie mon article à des spécialistes qui travaillent dans
mon domaine. On les nomme alors referees, en anglais dans le texte (en
français, des relecteurs) qui sont capables de juger de l'exactitude
de mon travail (est-ce que les interprétations sont recevables, les calculs
justes, les commentaires pertinents...?).
L'article est alors soit accepté, soit refusé, soit on peut demander des modifications
à l'auteur (le plus souvent le cas et on repart pour un tour, l'auteur, l'editeur
de la revue et les referees).
Un tel mode de fonctionnement marche très bien et permet un accès par revue
(c.-à-d. par domaine) à des articles auxquels des spécialistes ont donné une
caution scientifique. Actuellement ce système menace de s'effondrer...
mais pourquoi ?
Une telle procédure de publication met en jeu trois acteurs,
l'auteur, le rédacteur (la revue) et les referees.
Le premier et le troisième sont des chercheurs et sont donc payés par des institutions
(l'État ou l'université) en revanche le travail qu'ils effectuent pour la
revue (l'auteur rédige et le referee vérifie) est gratuit.
La revue est pourtant payante pour pouvoir couvrir les frais d'édition et d'impression ;
jusque là tout va bien.
Cependant depuis une dizaine d'années, on a vu les prix des revues augmenter
petit à petit et les maisons d'édition faire des bénéfices colossaux
: la révolte gronde.
Les chercheurs sont exploités puisqu' en effet ils travaillent gratuitement
comme auteur ou comme referee. « Elsevier Science »
est une des plus grosse maison d'édition avec plus de 1000 revues dans tous
les domaines de la science, elle fait actuellement plus de trois milliards
de bénéfices et est donc au coeur de la polémique.
Outre « l'exploitation » des chercheurs, plus grave, les revues deviennent
tellement chères que les bibliothèques ne peuvent plus les acheter...
où va-t-on, si des prix prohibitifs entraînent une restriction de la diffusion
des articles (qui est le but de l'auteur) ?
Les chercheurs n'ont alors plus aucun intérêt à publier puisque le nombre de
lecteurs potentiels diminue.
Mais comment communiquer des résultats si on n'utilise plus nos revues préférées
? La science est elle dans l'impasse, rendue muette par les intérêts mercantiles
?
Bien heureusement les chercheurs sont malins et ils pensent tout naturellement
à leur autre outil préféré : Internet. Il est particulierement
bien adapté à une diffusion mondiale (World Wide comme dans www), d'autant
plus qu'il relie les universités entre elles. Mieux, il a été fait pour ça...
Eh oui ! Renseignez vous sur la naissance du réseau Internet.
Voilà donc la solution pour lutter contre les prix exorbitants demandés par
les éditeurs qui ne peuvent être justifiés par un travail éditorial et d'impression
(au vu des bénéfices des maisons d'édition).
Une campagne internationale de boycott a été lancée par les scientifiques
qui visent les grands groupes comme « Elsevier Science » et parallèlement
chacun effectue un auto-archivage sur son site web ou sur des banques d'articles.
Il est d'ailleurs possible de cumuler, d'archiver sur le net et de publier sur
du vrai papier : ces deux médias peuvent être « referé » independament,
la caution scientifiques peut tout à fait exister sur le web. Même si cela ne
va pas sans poser des problèmes de copyright, une revue possède en effet
un droit d'exclusivité (le plus souvent) et peut interdire une diffusion en
ligne (même par l'auteur en personne), de nouveaux cadres vont être mis en place
suite aux discussions et débats entre les scientifiques et les éditeurs.
Les chercheurs, que l'on imagine le plus souvent avec la tête dans les éprouvettes,
ont su faire face pour défendre leur beafsteack (leur cerveau plutôt). Il ne
peut s'agir de David (humble chercheur) contre Goliath (grande maison d'édition) :
en effet sans les scientifiques, pas de science. La sonnette d'alarme
a été tirée, espérons que l'on revienne à une situation saine. Bravo messieurs,
la science peut être fière de vous !
Voilà, vous venez de découvrir les dessous du monde de la recherche :
c'est pas joli joli, hein ?
La réalité est pire... suite au prochain numéro.
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