- Le Centre National de la Recherche Scientifique:
Quand on pense à la recherche publique en France, on pense forcément au CNRS.
On n'a pas complétement tort, ce n'est pourtant qu'un des six Etablissements
Publics à caractère Scientifique et Technologique (appelés EPST),
cependant le nombre de chercheurs et le budget en font le premier et le plus
en vue des EPST. Si j'en viens à parler du CNRS maintenant, c'est avant tout
parce qu'il a été épinglé par le rapport annuel 2001 de la Cour des Comptes.
Paru il y a quelques semaines.
Il a pour but de clarifier les dessous souvent obscurs de l'Etat, la Cour
fouille dans les dossiers des ministères ou inspecte les actions du gouvernement.
Il faut noter le soin et la clareté des rapports de la Cour, qui sont parfaitement
documentés, leur objectivité les rend bien plus intéressants que les dossiers
de "Combien ca coute ?" ou "Capital". Voici donc en quelques points, le
résumé de la vingtaine de pages qui discutent de notre belle institution.
- Le CNRS en quelques mots:
Le CNRS couvre toutes les disciplines, c'est ca grande spécificité par
rapport aux autres EPST, l'INRIA s'occupe d'agronomie, l'INSERM de médecine,
l'INRIA d'informatique, j'en passe. Les unités de recherche (en gros les laboratoires)
sont regroupés en sept départements: Science physiques et mathématiques, sciences
pour l'ingénieur, sciences chimiques, sciences de l'univers, sciences de la
vie, sciences de l'homme et de la société, institut national de physique nucléaire
et de physique des particules. A noter qu'en 2000 a été crée un nouveau département:
Sciences et technologies de l'information et de la communication. Le CNRS est
implanté sur l'ensemble du territoire, 80% des unités sont associées à des universités
ou écoles d'ingénieurs.
Le décisionnel c'est-à-dire le pouvoir exécutif est dans les mains du comité
national de la recherche scientifique (sorte de "parlement" des chercheurs),
organisé en sections qui couvrent toutes les disciplines, il décide de
la création, de l'évaluation et du renouvellement des unités.
- Une organisation mise en cause:
La Cour critique dans un premier temps l'organisation décrite ci-dessus. En
effet, le régime d'assemblée peut expliquer la grande difficulté pour l'exécutif
du Centre à définir et à mettre en oeuvre une stratégie. La direction générale
a une faible capacité de manoeuvre, les crédits de personnel sont à titre
d'exemple reconduit de façon quasi-automatique. A un autre niveau, les laboratoires
ont une grande autonomie, ils peuvent disposer de ressources propres
qui ne sont pas toujours connues de la direction générale. En bref, la direction
générale n'a pas l'importance que l'on attend d'une administration centralisée,
son role de coordonnateur n'est pas évident puisque les laboratoires peuvent
avoir une stratégie propre indépendante de l'organisation générale. Il faut
cependant noter que la réforme d'octobre 2000 vise justement à rendre à la direction
sa fonction de pilotage stratégique, la Cour n'a pas assez de recul pour juger
de son efficacité, elle va cependant dans le bon sens selon elle.
- L'absence de direction stratégique:
Cela recoupe en partie le paragraphe précédent, mais plus précisement la Cour
regrette qu'il n'existe plus de plan stratégique depuis six ans. Dans
les années 90 à 92 avait été adoptée l'idée d'interdisciplinarité (des
chercheurs de différents "départements" travaillent
sur un sujet commun, chacun apportant le point de vue caractéristique
de son département). Faute d'orientations précises le projet à reçu un
accueil très modéré au niveau des laboratoires. En 97, un souhait fort de la
direction visait à promouvoir de nouvellse recherches par un financement incitatif,
à cause d'un manque de continuité et de suivi des projets, ce type de développement
a été abandonné deux ans après. Les deux exemples sont assez frappants, le CNRS
semble mal remplir sa vocation d'organisation centralisée.
- Un organisation éclatée:
On peut mettre en avant deux gros disfonctionnements. D'une part, l'absence
de cohérence dans le discours de la direction générale, simplement dû au fait
qu'en huit ans se sont succédés quatre directeurs généraux. D'autre part,
la très faible interaction entre les fonctions scientifiques et administratives,
même au niveau régionnal. Bref les chercheurs "n'en font qu'à leur tête"
et sont déconnectés des orientations générales.
80% des unités sont associées avec des universités, cela ne vient pas faciliter
les choses et disperse l'information un peu plus, les contrats quadriennaux
que l'Etat passe avec les universités répondent mal aux critères de politique
scientifique du CNRS. En conséquence, le conservatisme règne, comme exemple
frappant les créations nettes de laboratoires avec de jeunes équipes restent
une exception, on leurs préfère des restructurations ou comment faire du neuf
avec du vieux. La Cour note cependant que la réforme d'octobre 2000 va dans
le sens d'une nouvelle organisation qui devrait éliminer de telles incohérences.
- Et l'Europe de la recherche:
Dans le courant des années 90, l'Europe s'est imposé comme une manne de financements
importants, par exemple les disciplines des sciences de la vie ont beneficié
à 29% "d'argent européen". Cependant la Cour regrette que le CNRS n'ait pas
poussé ses unités dans le grand bain de l'Europe. Même si des collaborations
se sont mises en place, on aurait pu imaginer la création de laboratoires
mixtes ou la promotion d'une politique de mobilité des chercheurs vers les
pays de la communauté.
- L'épineuse question du budget:
Ce chapitre est très largement développé dans le rapport de la Cour, la gestion
de l'argent publique est en effet son cheval de bataille. La Cour regrette dans
un premier temps l'absence de moyens de contrôle et de gestion de son buget
dirigé vers les laboratoires.
Les logiciels de gestion viellissent mal et ne sont plus adaptés à une gestion
centralisée du budget (en aparté, il en va de même pour le personnel). En
conséquence, l'information circule mal des laboratoires vers la direction.
La Cour note que la présence effective d'un double circuit de gestion des crédits
rend les discussions budgétaires peu rigoureuses. En effet d'un part, ce sont
les départements scientifiques qui valident les autorisations de programme de
recherche (promesse de crédits), d'autre part ce sont les directions régionnales
qui accordent les crédits de paiements (crédits effectifs). Un autre aspect
vient en plus biaiser les quelques informations qui remontent vers la direction,
cette dernière ne connait pas forcement les autres sources de financement
(des contrats avec l'industrie par exemple) de ses unités.
Les conséquences de ce manque de rigueur ont conduit le CNRS vers une crise
financière au milieu des années 90. L'institution s'est vue incapable de
rendre des comptes précis à ses ministères de tutelle : les relations de confiance
ont largement été affectées.
Un fait particulièrement frappant et tout à fait concret est souligné par la
Cour et traduit selon elle un mauvaise gestion des crédits de la part des équipes
de recherche. En effet, on constate une sous-consommation des crédits
d'une année sur l'autre, en 99 les chercheurs n'ont utilisé que 62% du budget
mis à leur disposition. Le CNRS invoque pour expliquer ces reports la gestion
par les équipes de leurs ressources propres (elles thésaurisent d'une
part pour se prémunir des annulations de crédits comme cela s'est produit en
95 suite à la crise financière déjà mentionnée et d'autre part pour s'octroyer
un pouvoir financier indépendant de la direction centrale, ce qui n'est pas
fait pour améliorer l'organisation générale comme on l'a vu plus haut), le caractère
pluriannuel des contrats industriels des unités (qui représente donc une grosse
masse d'argent qui ne sera pas prise sur les crédits) et enfin l'absence de
règle commune de report des crédits entre le CNRS et les universités. La Cour
conclue qu'un tel phénomène est révélateur de la stratégie "d'autonomisation"
des unités et amplifie la perte de vitesse de la direction générale.
- L'épineuse question du personnel:
On peut voir les critques de la Cour concernant la gestion du personnel comme
une redite des défauts de l'organisation. En effet tout est lié, un mot peut
cependant résumer la gestion des effectifs, c'est rigidité.
Dans un premier temps, la Cour note que la création de poste de chercheur interdisciplinaire
(comme cela avait été souhaité au début des années 90) est quasi impossible,
à cause même de la rigidité des structures du CNRS. En effet, l'institution
est foncièrement organisée par discpline, les sections (quarante au total avec
des thématiques précises) décident alors de la création des postes dans son
domaine d'activité, la promotion de poste entre deux sections n'est pas administrativement
possible.
Dans en second temps, mais toujours avec cette même idée de rigidité, la Cour
constate la faible mobilité des chercheurs de façon générale. Il y très
peu de chercheurs qui deviennent enseignants-chercheurs en cours de carrière
et inversement, de même les changements de laboratoire sont rares, à une autre
échelle, peu de chargés de recherche pratiquent la "mobilité intellectuelle"
(i.e. changent de sujet de recherche). A leur décharge, la Cour remarque que
l'institution fait peu pour stimuler leur motivation. En effet, ce sont
toujours les sections qui évaluent les chercheurs, ces évalutions ne débouchent
qu'exceptionnellement sur des sanctions et très peu sur des promotions, faute
de postes. Bref quel est le sens de ces évaluations ...
Dans un dernier temps, la Cour s'inquiéte du renouvellement du potentiel de
recherche. C'est un problème dont j'avais déjà parlé
en février, en effet on va assister à des départs massifs à la retraite
(ce phénomène est directement lié au baby-boom d'après-guerre) d'ici 2010. Le
mouvement s'est amorcé dès le milieu des années 90, la Cour s'étonne que le
CNRS n'est pas d'ores et déjà préparé son renouvellement, le nombre de
poste offert n'a pas changé. Une stratégie raisonnable consiste à anticiper
le renouvellement (c'est trop tard) et surtout continuer le recrutement
après la période critique, autrement dit répartir sur une durée plus importante,
ne pas renouveler poste par poste. Dans le cas contraire, on sera exactement
dans la même situation dans 40 ans.
- Conclusion:
Pour conclure, la Cour insiste sur les évolutions à apporter à l'organisation
du CNRS, il lui apparait vital que la direction puisse piloter une politique
qu'elle même a définie, le budget est alors un moyen qu'il faut aussi gérer.
La Cour insiste aussi sur la nécessité d'une ouverture vers l'Europe.
- MA Conclusion:
J'espère ne pas avoir trahi les propos du rapport de la Cour dans mon résumé,
je vous invite à vous faire une idée par vous même. Si l'ensemble est assez
déprimant, c'est avant tout parce ce que le rapport a un but critique et n'est
donc pas fait pour "brosser dans le sens du poil". Les critiques sont cela dit
très objectives et constructives (bien que cela apparaisse peu dans mon résumé,
la Cour développe le plus souvent des solutions à mettre en oeuvre). Il est
vrai que depuis une dizaine d'années, l'institution est en crise, c'est avant
tout une crise de la direction générale, car au niveau des unités de recherche
le fonctionnement est assuré. Le CNRS posséde les avantages et les inconvénients
d'une institution centralisée, c'est pour cela qu'il a été crée, et même si
depuis quelques temps la direction semble en retrait, les réformes récentes
devraient permettre de redresser la barre. Il faut noter, pour conclure sur
un point de vue un peu plus optimiste que la grande force du CNRS vient des
unités mêmes, en effet la sélectivité du recrutement assure une grande qualité
voire une vraie excellence du personnel de recherche. Son aura internationnale
est incontestable, son budget n'est pas faramineux et pourtant ses recherches
sont à la pointe dans de nombreux domaines. Cela devrait lui permettre comme
le souhaite la Cour des Comptes d'être un des moteurs de la recherche scientifique
en Europe.
Références :
Thierry CHANELIERE
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