Depuis mai, c'est en effet ce qui arrive à l'étoile montante dans le domaine de nanotechnologie. Un "doute" subsite sur le validités des résultats expérimentaux de Jan Hendrick Schön. Agé de 31 ans, il a accumulé depuis la fin de sa thèse plus d'une centaine d'articles sur une durée de 6ans. C'est un chiffre collossal, comment à la fois faire des expériences et rédiger aussi régulièrement ? Tout semble excessivement facile pour notre jeune chercheur, alors que d'autres groupes, dans le même domaine, se montrent incapable de reproduire les résultats.
Le "doute"
Ce qui a mis la puce à l'oreille de la communauté (importante en l'occurence les nanotechnologies), c'est l'étrange ressemblance entre deux figures: les deux graphiques qui doivent relatés deux expériences différentes sont parfaitement identiques, même le bruit sur les signaux est parfaitement semblable. Rapidement d'autres publications ont été analysées, on a ainsi trouvé huit figures (dans six papiers différents) plutôt suspectes: certaines courbes étaient belles et bien semblables, certaines etaient visiblement formées avec des "bouts" d'autres. Le doute s'est insinué dans la véracité du travail expérimental de Jan Hendrick Schön.
Nanotechnologie
Les résultats présentés par le jeune prodige ne manquaient pas de saveur. Le travail de Schön est basé sur la miniaturisation des puces électroniques. Alors que tous nos processeurs sont à base de silicium, il démontre la possibilité de faire des transistors (briques élémentaires de tous processeurs) en déposant de fines couches de molécules organiques dépassant de loi des contraintes du silicium (qui limite actuellement la taille de nos circuits) en faisant un pas de géant vers la miniaturisation des circuits. L'employeur de Schön fut alerté par Lydia Sohn, chercheuse dans ce même domaine à Princetown, les Bell Labs furent prévenus en même temps que les revues qui avaient publié les articles les plus surprenants (Nature, Science, Applied physics letters, rien que des publications de premier plan).
L'embarras
Il faut savoir que les Bell Labs sont une véritable institution de la recherche internationale. Ils se retrouvent au coeur de la tourmente, avec une pression de la part le leur financier incontournable, le géant des télécoms, Lucent Technologies. L'embarras est grand au sein de l'institution, d'autant plus que ce cas de figure n'est pas du tout prévu au sein de la recherche internationale. Il n'existe pas d'organisme indépendant mandaté pour juger et statuer de la varacité ou dans une moindre mesure de l'éthique dans la rédaction des publications (pour en savoir plus sur "publier, comment ca marche ?", voir ma Tribune de novembre 2001 ). La seule possibilté est de faire une "enquète", une commission spéciale (avec des spécialistes indépendants, autrement dit ils ne travaillent pas pour Lucent) été formée afin de mener l'investigation (comme on dit en anglais). Il s'agit d'une enquète quasi-policière pendant laquelle Schön doit montrer comment il a produit ses résultats expérimentaux, comment il a exploité ses données en justifiant ses publications. Il faut en l'occurrence statuer sur la "possibilité d'une inconduite scientifique sur le travail de Schön et des ses coauteurs", je reprends ici l'intituler exact des chefs d'accusation.
Les cas "d'inconduite scientifique" sont très rares, tellement rares qu'aucun organisme ne fait foi en la matière (dans le cas qui nous occupe, un comité spécial financé par "Lucent" devra faire la lumière). Les différentes revues qui ont pourtant publier les articles incriminés sont impuissantes, pire elles sont mises en cause pour ne pas avoir assez "examiné" avant publication.
Le petit monde des physiciens se croyait pourtant à l'abri de ce genre de revers, l'éthique et plus généralement "la conduite" (toujours pour reprendre l'intituler de l'accusation) n'est pas au coeur du débat en science physique (on est bien loin du projet Manhattan), contrairement à la biologie ou la médecine qui sont chaques jours face aux conséquences de leur activité (les OGM, le clonage: As-t-on le droit ? Si oui, jusqu'où aller ? ...). Dans le cas qui nous occupe, l'éthique est bien présente sous un jour un peu différent, on devrait plutôt parler d'honnêteté. Chez les physiciens, pas de comité d'éthique, la communauté pensait que seul devait compter les résultats expérimentaux, ils sont en effet difficilement discutables ... pensait on ...
Bref, "l'affaire" met le doigt sur une faille du système, l'embarras est général: Les Bell Labs se voient obligés de convoquer une comission spéciale dans l'urgence, les revues que l'on accuse de vouloir faire dans le spectaculaire en rentrant dans le jeu de scientifiques peu scrupuleux, "les coauteurs" (sur une dizaine de publis cela représente un certain nombre)et enfin la comunauté éclaboussée dans son ensemble) dont on ne sait l'implication dans les résultats et la rédaction das articles.
L'épilogue
A l'heure ou je suis en train d'écrire mon texte, les résultats de l'enquète sont connus. La commission a en effet rendu un rapport sur l'affaire Schön. Sur les 24 allégations statuées par la commission, Schön se rendit coupable de 16 cas d'inconduite. Le rapport innocente les coauteurs mais rappelle qu'ils ont engagé leur responsabilité en signant les articles. Schön a été renvoyé des Bell Labs, sa carrière scientifique est très compromise.
Même si cette petite histoire semble anecdotique, elle risque de laisser des traces. Les cas de "mauvaise conduite" sont rares, il soulignent d'autant plus le besoin d'une règlementation ou dans une moindre mesure d'une définition éthique pour les sciences physiques. Je ne vais pas pour le moment m'attaquer à un si gros morceau dans mes chroniques mais je me propose de vous donner rendez-vous bientôt pour une synthèse du rapport du comité, on y verra un peu plus clair (j'espère) sur ce qu'est une "mauvaise conduite" (à partir des détails de l'enquète).
Bref ! A suivre ...
Petite Note
* Les Bell Labs:
La microélectronique, les réseaux, la photonique, le "sans-fils", bref tout ce qui touche de près ou de loin aux télécoms, les Labs en développent des applications. A la pointe dans chaque domaine, ils peuvent compter sur la bienveillance de "Lucent Technologies" qui finance les recherches et exploite ensuite les brevets pour leur commercialisation. Actuellement, la crise des télécoms se répercute sur la recherche, malgré une situation difficile, les labs possèdent un palmarès impressionant: en 1947 John Bardeen, Walter Brattain et. William Shockley y inventent le transistor, en 1958 Arthur L. Schawlow et Charles H. Townes fabriquent le premier Laser, pas moins de six prix Nobel depuis leur création en 1925. Il s'agit bien d'un des grands noms de le recherche internationale, qui se trouve actuellement pris dans la tourmente.
* Projet Manhattan:
C'est le programme américain qui pendant la seconde guerre développa la bombe atomique. A ce moment la, l'implication scientifique des chercheurs est directement lié à leurs oppinions politiques. Pour en savoir plus, une page personnelle trouvé en surfant sur le web: Hiroshima et le projet Manhattan par Jean-Marc Aeschlimann.