En résumé, la situation n'est pas brillante
: les scientifiques sont à la fois encensés et méprisés,
mais ces mêmes scientifiques (pas tous, je le répète...)
se permettent de tenir l'opinion publique le plus à l'écart
possible de leurs travaux. Des scientifiques qui ont trop tendance à
mettre leurs connaissances au service d'intérêts privés
(pharmaceutiques par exemple), oubliant que tout scientifique a une responsabilité
dans les conséquences que peuvent avoir ses recherches et qu'il se
doit de réfléchir aux conditions de déroulement et
d'exploitation de ses recherches.
Il est indispensable de faire changer la situation. Les sciences se sont certes
spécialisées et sont devenues de moins en moins transparentes
mais ce n'est pas une fatalité. La science ne pense pas, c'est un savoir
collectif . A ce titre, c'est collectivement que nous pouvons faire changer
la science.
Plutôt que de changer la science elle même, ce
sont ses rapports avec l'opinion publique qu'il faut révolutionner.
Il faut que les scientifiques et non scientifiques échangent de nouveau
des idées, c'est le fonctionnement de notre société qui
en dépend en partie.
Prenons un exemple classique mais d'une importance considérable pour
les décennies à venir : le problème de l'approvisionnement
énergétique à l'heure de l'épuisement des ressources
fossiles et des difficultés présentées par le retraitement
des déchets nucléaires. Sur ce thème à la fois
scientifique, politique et économique, les opinions réfléchies
de chacun apportent du sens et contribuent à la résolution
du problème. Là encore, attention il ne s'agit pas d'avoir
une opinion toute faite, fondée sur des bribes de discours entendus
ici ou là du genre "le nucléaire, on n'en veut plus".
Réinjectons un peu de l'esprit des lumières dans ce XXI
ème
siècle un peu sombre qui s'ouvre devant nous. Suivons l'injonction de Kant
qui affirmait que "tout homme a le devoir de cultiver sa raison, de
mener un travail critique y compris sur sa propre pensée pour enfin
penser par lui même".
Chaque citoyen a comme devoir
de s'informer de façon contradictoire sur quelques sujets fondamentaux
pour se forger une opinion personnelle et raisonnée qui pourra alors
être écoutée de tous.
Sur le problème évoqué plus haut , chacun s'est il
seulement posé la question , chiffres a l'appui, s'il était
possible dans les décennies à venir de se passer des centrales
nucléaires en France. Renseignements pris de tous côtés
, cela paraît impossible et il serait sans doute souhaitable de songer
à son amélioration plutôt que d'en faire en permanence
un bouc émissaire des problèmes d'une société
trop gaspilleuse d'énergie...
Bien sûr , se forger une opinion la plus vraie possible sur chaque
sujet demande un effort de tous les instants mais une société
morale et humaniste est à ce prix.
On ne manquera pas de me dire ironiquement que cette idée de société
humaniste est aujourd'hui dépassée. Je refuse de le croire
et en tout cas de l'accepter. Je crois que les sciences sont un des moyens
(pas le seul) d'y arriver si l'on fait des sciences sans arrogance, avec
le constant souci de faire comprendre aux autres citoyens pourquoi ce que
l'on fait présente un intérêt . Il faut sortir d'urgence
du système actuel où les sciences s'arrogent des droits qu'elles
n'ont pas et s'autorisent à ne jamais consulter les opinions publiques
sur la conduite de leur travaux.
Remettons les sciences au coeur de notre
société, non pas en faisant de chaque citoyen un scientifique
mais en faisant en sorte que chacun cherche à devenir un citoyen
éclairé dont les opinions et l'esprit critique participeraient
au renouveau indispensable des sciences. C'est la meilleure façon
d'assainir les sciences et d'en refaire le levier intellectuel qu'elles
n'auraient jamais dû cesser d'être.
Voilà un bien beau rêve, celui d'une société
de citoyens éclairés... Mais par où commencer ? Mais
par la parole bien sûr... C'est pour cette raison que j'ai souhaité
créer ces
tribunes libres sur le site
web du lycée. J'y envoie mes élèves de mois en mois,
pour les amener à réfléchir un peu à l'intérêt
de venir ensuite dans mon cours apprendre la physique et la chimie. Oh,
je ne prétends pas qu'ils y vont tous, lire ces tribunes, loin s'en
faut mais au moins elles existent et je le leur dis : quand ils seront près
à réfléchir, ils iront. Et puis la fin de l'année
scolaire approche; vient le temps d'activités pédagogiques
un peu différentes, nul doute que mes élèves de seconde
et de première vont lire quelques unes de ces tribunes avec moi,
histoire d'amorcer une modeste dynamique.